D'abord la pratique, et ensuite la théorie : Les leçons de la Petite École Zapatiste, après 20 ans d'existance.
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Par Kristin Bricker, CIP Americas, 5 septembre 2013, traduit par N07070
Lors de ma première nuit durant la visite de la Petite École Zapatiste, mon guide et son mari ont demandé si mes étudiants avaient des questions. Mes étudiants et moi-même avions déjà eu l’expérience de travailler avec les Zapatistes, nous nous sommes donc poliment limités aux questions sûres, généralement posées lors de la visite d’un territoire rebelle : des questions sur les provisions, les récoltes, les points d’eau locaux, et toutes autres questions n’ayant rien à voir avec l’Armée Zapatiste de Libération National (EZLN).
Le mari de mon guide a poliment répondu à nos questions mondaines. Puis, il a dit : « Écoutez, nous sommes clandestins depuis 1983, quand l’organisation venait de se former. Nous marchions des heures durant la nuit pour organiser d’autres villes, toujours la nuit pour éviter d’éveiller la suspicion des propriétaires de plantation, et nous allions dans le maquis pour nous entraîner. Ma femme a risqué sa vie en marchant la nuit dans le maquis pour amener des sacs de tostadas aux camps pour que les insurgés aient de la nourriture durant leur entraînement. Maintenant, avez-vous d’autres questions ? »
Mes camarades de classe et moi-même nous sommes regardé, nos yeux semblant dire « Oh, c’est ainsi que ça se passera à la Petite École Zapatiste ».
Nos questions commencèrent ensuite à être plus sérieuses, et nos guides ainsi que leurs voisins répondirent avec enthousiasme à chacune d’elle. Histoire de mettre les choses au clair.
Les Zapatistes ont pris la décision d’ouvrir leurs maisons à leurs sympathisants de longue date et de leur apprendre leur passé, présent, erreurs, victoires et avancées pour plusieurs raisons. Durant la Petite École, les Zapatistes ont répété qu’ils espéraient que leurs partisans pouvaient apprendre de leurs expériences.
« L’autogestion… est possible. Nous y sommes parvenus avec quelques compañeros et compañeras, pourquoi pas avec des centaines ou des millions ? » a demandé une Zapatiste d’Oventik. « Nous espérons que vous nous direz si nos pratiques, nos expériences avec l’autogestion vous seront utiles d’une manière ou d’une autre ».
« Beaucoup de gens pensent que ce que nous faisons, notre forme de gouvernance, est une utopie, un rêve » dit un autre Zapatiste d’Oventik. « Pour nous Zapatistes, c’est une réalité car nous le réalisons… chaque jour, à travers une pratique quotidienne depuis 19 ans. Et c’est pour cela que nous pensons que si nous nous unissons avec des millions de Mexicains, nous pouvons former notre propre manière de gouverner ». (En opposions au gouvernement actuel, ndt)
Il y a plusieurs années, un Zapatiste m’a dit qu’ils apprenaient souvent plus de leurs erreurs que de leurs victoires. Dans cet esprit, le curriculum de la Petite École inclut des discussions brutalement honnêtes sur les erreurs commises par les Zapatistes au cours des années. Par exemple, les livres scolaires incluent une discussion franche sur la disparition de la coopérative de café Mut Vitz en 2007. Bien que la fermeture soudaine et inexpliqué de la coopérative fut ressentie jusqu’aux États-Unis et en Europe, où les torréfacteurs se sont soudainement trouvés sans une source de café zapatiste, les Zapatistes n’avaient pas expliqué les raisons de la chute de Mut Vitz jusqu’à présent.
Dans les livres scolaires de la Petite École, Roque, un ancien membre de la coopérative et membre actuel du Conseil Autonome Municipal de San Juan, d’Oventik, révèle que la mauvaise gestion et la corruption sont les raisons de la chute de Mut Vitz. La coopérative avait engagé un consultant extérieur qui, pour des raisons inconnues aux autres membres de la coopérative, n’avait pas correctement déclaré les actifs au Trésor publique mexicain, ce qui a permis au gouvernement de saisir le compte en banque de la coopérative. Alors que Mut Vitz faisait l’objet d’un audit interne pour déterminer quelle somme d’argent non comptabilisée les membres de la coopérative avaient mis de côté pour payer les producteurs de café à crédit, attendant la vente de leur produit, le Conseil du Bon Gouvernement d’Oventik découvrit que les membres du conseil d’administration de Mut Vitz volaient de l’argent de la coopérative. Le Conseil émit un ordre d’arrestation contre les parties concernées et saisit leurs biens pour compenser l’argent volé.
Les Zapatistes espéraient aussi utiliser leur Petite École pour mettre au clair le statut de leur Mouvement. Ils lisent la presse, et ils ont dit aux étudiants qu’ils savaient que les médias dominants annonçaient que le mouvement zapatiste était en fin de vie, qu’il avait rendu les armes, que le Subcomandante Marcos était mort d’un cancer des poumons ou qu’il avait été viré, que la Comandancia (Les leaders Zapatistes) rencontrait le « mauvais » gouvernement en secret et en acceptait des millions de pesos, et que les Zapatistes étaient des communistes refoulés, parmi d’autres accusations infondées.
De plus, les Zapatistes ont admis qu’il y avait eu des traîtres, des compañeros qui avaient quitté l’organisation et collaboré avec le gouvernement. Comme l’a dit un militant européen à la fin de la Petite École, « Je pense qu’ils ont réalisé qu’ils en étaient à un point où les services secrets en savaient plus sur le mode de fonctionnement du gouvernement zapatiste que les camarades de la société civile les ayant soutenu, et ont donc décidé de nous montrer ce qu’ils faisaient ».
Après tout, le gouvernement civil zapatiste, non clandestin, et les indigènes non zapatistes utilisent quotidiennement les cliniques, lesystème judiciaire, les transports publics, et d’autres services qu’il semblait impossible d’obtenir du gouvernement mexicain. En plus,n’importe quel non-Zapatiste – que ça soit le « mauvais » gouvernement ou n’importe quelle organisation zapatiste - qui veut développer une infrastructure qui passe à travers le territoire zapatiste (électricité ou routes, par exemple) doit négocier avec le « bon » gouvernement zapatiste et donc en comprendre le fonctionnement. Avec la Petite École, les Zapatistes ont officiellement et pour qu’il en soit prit note, expliqué comment leur gouvernement fonctionne exactement.
Peut-être que l’un des plus grand bénéfices de la Petite École eut lieu durant sont organisation. Les quatre livres scolaires de la Petite École, Gouvernement Autonome, Partie I et II, La participation des femmes dans le Gouvernement Autonome et Résistance Autonome, ainsi que les deux DVD accompagnant ces livres, furent créés par les Zapatistes eux-mêmes. Ces manuels sont le résultat des cinq Caracoles zapatistes (Les nœuds du gouvernement Zapatiste), au fil des voyages entrepris entre les régions pour récolter les témoignages et interviewer leurs camarades à propos de leur autogestion.
L’approche du bas vers le haut du gouvernement zapatiste veut dire que chacun de ces Caracoles opère sous les mêmes principes de base et vers les mêmes buts, mais que leurs opérations au jour le jour diffèrent parfois singulièrement. Par exemple, chaque Caracol se compose d’un Conseil du Bon Gouvernement, la plus haute autorité de la région. Toutefois, chaque Conseil des Caracoles est organisé différemment. Une proportion importante des questions posées par les Zapatistes à leurs camarades dans la portion des manuels sur les interviews gravitait autour de leurs expériences, échecs et succès.
Par exemple, un membre du Conseil d’Oventik demande à un ancien membre du Conseil de Morelia : « Est-ce que les douze membres du Conseil [de Morelia] sont capables de faire tout leur travail ? Parce qu’à Caracol II, nous sommes 28 et nous nous sentons parfois surmenés ». La réponse du Zapatiste de Morelia fut de reconnaître qu’ils se sentaient eux aussi surmenés et qu’ils avaient besoin de restructuration, sans pour autant être capables de proposer mieux jusqu’à aujourd’hui.
Quand les Zapatistes prirent les armes au Chiapas le 1er Janvier 1994, ils désiraient leur liberté et leur autonomie. « Mais nous n’avions pas de guide ou de plan pour nous indiquer quoi faire », m’expliqua unpromoteur d’éducation zapatiste. « Pour nous, c’était d’abord la pratique, ensuite la théorie ».
Tandis qu’une partie de l’EZLN faisait fuir de leurs plantations les riches propriétaires terriens de la campagne du Chiapas durant l’aube de la journée de l’an, d’autres contingents prirent sept villes majeurs de l’État. « Tout ce que nous avions accompli fut possible grâce à nos armes, qui ouvrirent le chemin sur lequel nous marchons aujourd’hui » explique un Zapatiste d’Oventik dans un DVD de la Petite École. « [Depuis lors], chacune de nos réalisations, nous l’avons concrétisée sans tirer un coup de feu ».
Immédiatement après le soulèvement, les Zapatistes mirent en place un gouvernement autonome au niveau des villes. Chaque cité nomma ses autorités locales et forma une assemblée. « Mais vu que nous étions en guerre, nous perdions sans arrêt des autorités locales » explique Lorena, un promoteur/ organisateur ?? de santé publique de San Pedro de Michoacan dans La Realidad. « Il y avais du chaos dans les communautés ». Comme mesure de prévention, le commandement militaire de l’EZLN dût entrer en piste et endosser des rôles que les autorités civiles n’étaient pas capable d’assumer durant le chaos de la guerre.
Le commandement militaire tint des consultations avec les autorités civiles, et d’un commun accord, mit en place des municipalités autonomes dans le but d’établir l’ordre et un gouvernement civil dans les territoires rebelles. En décembre 1994, les Zapatistes inaugurèrent 38 municipalités autonomes dans un nombre inconnu de villes. Chaque municipalité avait son propre conseil nommé par les villes, ce qui permit une meilleur coordination entre les villes et une plus grande organisation formelle et des affaires civiles.
Une patrouille de combattants zapatiste dans la forêt du Chiapas.
Alors que des militants solidaires arrivaient en territoire zapatiste pour apporter leur soutien financier et faire don de leur travail, le commandement de l’EZLN réalisa que certaines municipalités recevaient plus de soutien que d’autres, plus isolées. « Suivant l’ordre du [Commandant], le conseil municipal se réunit et commença à superviser l’avancement des municipalités, combien de soutien chacune recevait, et quels projets étaient réalisés » m’expliqua Dorotea, un ancien membre du Conseil du Bon Gouvernement de La Realidad.
En 1997, les Zapatistes formalisèrent les assemblés municipales en créant l’Association des Municipalités Autonomes formée de représentants de chaque municipalité. « Avec l’association des municipalités, des tâches et du travail de la santé, de l’éducation, et du commerce furent supervisées », se rappelle Doroteo. « Durant ce temps, un entrepôt de biens secs fut crée … dans l’idée d’apporter un soutien [économique] aux travailleurs à pleins temps de l’hôpital [zapatiste] de San José del Rio ».
Durant la création de l’Association des Municipalités Autonomes, les Zapatistes redistribuèrent formellement les terres qui avaient été saisies durant le soulèvement de 1994. Les sans-terres zapatistes partirent de leurs communautés de naissance pour s’installer sur les terres récupérées, qu’ils pouvaient finalement appeler la leur, réalisant la maxime du héros Emiliano Zapata : « La Terre à ceux qui la travaillent ! »
En 2003, les Zapatistes ont inauguré le troisième niveau de leur gouvernement autonome, les cinq Conseils Du Bon Gouvernement, situé à La Realidad, Oventik, La Garrucha, Morelia et Roberto Barrios. Néanmoins, l’organisation de plus haut niveau de gouvernement ne veut pas dire que les Zapatistes s’éloignent d’une démocratie directe à travers des assemblés locales. Au contraire, toutes les propositions doivent être approuvées par les assemblées des villes.
Les propositions émanent des assemblées des villes et remontent dans les différents niveaux du gouvernement autonome si elles concernent plus que la ville de laquelle elles proviennent. Chaque proposition passe par le conseil municipal, qui transmet ensuite les propositions approuvées au Conseil du Bon Gouvernement, qui à son tour les faits suivre à son Commandement, qui va ensuite renvoyer la proposition dans les cinq conseils du Bon Gouvernement. Une fois avalisées, ces propositions sont retournées aux conseils municipaux, qui les relaient aux différentes villes pour consultation et mise en œuvre.
Le Commandement peut aussi élaborer ses propres propositions et les transmettre aux trois niveaux du gouvernement citoyen pour consultation et mise en œuvre. De fait, même si les Conseils du Bon Gouvernement sont les plus hautes autorités du gouvernement autonome, ils n’ont aucune autorité pour créer des lois. Les conseils sont cantonnés à leurs deux rôles principaux : coordonner et promouvoir le travail dans leurs régions, imposer et effectuer l’application des lois et des mandats zapatistes qui ont été approuvés par le peuple.
Parce que les Zapatistes ont construit leur gouvernement de bas en haut, que les individus se sont organisés dans des assemblés de communautés, qui sont à leur tour organisées en conseils municipaux, qui, eux, sont sous-jacents aux cinq conseils du Bon Gouvernement, chaque Caracol est différent. Tous travaille à l’application des principes zapatistes : La terre, un toit, la santé, l’éducation, le travail, la nourriture, la justice, la démocratie, la culture, l’indépendance, la liberté et la paix. Toutefois, les progrès réalisés par les Zapatistes dans la mise en œuvre de ces principes varient d’un Caracol à l’autre. Certains Caracoles, tel celui de La Garrucha, ont des projets économiques collectifs comme des boutiques ou l’élevage de bovins pour financer les activités politiques dans chacun des trois niveaux de gouvernement; d’autres Caracoles, comme celui d’Oventik, ont seulement des projets économiques collectifs dans certaines de leurs villes.
Globalement, les méthodes et le succès de l’application du Droit Révolutionnaire Des Femmes varient. Morelia, par exemple, rencontre des difficultés quant à la promotion de la participation des femmes dans les plus hauts niveaux du gouvernement autonome. Toutefois, Morelia est unique parmi les Caracoles parce que sa Commission d’Honneur et de Justice (l’équivalent du système de justice) a un plan spécial pour les affaires en lien avec les viols, qui vise à réduit la victimisation des femmes et les encourage à dénoncer leurs agressions.
Beaucoup ont parlé des récentes mobilisations zapatistes, telle celle du 21 Décembre 2012, la marche silencieuse et la création de la Petite École, comme d’une résurgence zapatiste. La Petite École mit une chose en avant : ce n’était pas une résurgence, parce que les Zapatistes n’avaient jamais disparu. Durant la petite école, les étudiants ont appris de la création, qui semble sans fin, de nouvelles coopératives, des expériences zapatistes dans la gouvernance collective, en amélioration constante, et comment les donations de leurs sympathisants ont été investies dans un stock de vivres et des entrepôts pour qu’ils puissent payer des dividendes qui servirons sur le long terme à payer le budget des hôpitaux et des cliniques.
La leçon du jour de la Petite École est claire : si les Zapatistes ne parlent pas à la presse, ne faites pas l’erreur de penser que c’est parce qu’ils sont en perte de vitesse ou qu’ils disparaissent… Ils sont simplement en train de travailler très dur pour l’avancement de leur autonomie, et n’ont pas le temps d’entendre les critiques de leurs ennemis.
Après tout, leur succès se mesure en avancées et non pas en rhétorique. Comme l’a dit un Zapatiste à la fin de la Petite École à Oventik, « Nous démontrons au mauvais gouvernement que nous ne voulons pas de lui, n’en n’avons pas besoin, et qu’il n’est pas nécessaire pour que nous puissions subvenir à nous-même ».
Kristin Bricker est une journaliste mexicaine . Elle contribue au Programme américain CIP.
Source Originale (Via Web Archive)
Photo de couverture par Theklan
Article publié à l’origine sur Warrior Publications en anglais.